• Article du journal "Libération" : Enfin !

    Rebonds
     
    Pire que la discrimination par la carte scolaire,
    l'obligation d'accepter une éducation formatée.
     
    Pour des pédagogies différenciées
     
    Par Bernard COLLOT
    QUOTIDIEN : Mardi 12 septembre 2006 - 06:00
    Bernard Collot essayiste, ancien instituteur. Auteur de: Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, éd. l'Harmattan ; Du taylorisme scolaire à un système éducatif vivant, éd. Odilon.
     
    Dans la polémique déclenchée par Ségolène Royal, il est pour le moins surprenant que ne soit jamais évoqué ce qui constitue un véritable scandale dans une société où chacun se réclame de la démocratie. Dispenser de «l'instruction» à chaque enfant est obligatoire depuis Jules Ferry. Personne ne conteste cette formidable avancée sociétale. L'Etat, les communes, devant donner à chaque citoyen parent les moyens d'assumer ce devoir qui lui incombe (comme le devoir de subsistance par exemple). En fait, cette obligation d'instruction pour le citoyen parent et cette obligation de lui en fournir les moyens par l'Etat et les communes s'est métamorphosée en obligation scolaire... Et c'est du coup l'Etat qui se substitue au citoyen quant à la responsabilité et au devoir d'instruction. Tout se passe donc comme si, à partir de 5 ans, l'enfant était «enlevé» aux familles, sans qu'elles n'aient rien à dire, les fonctions habituelles de la parenté étant alors assurées par des fonctionnaires.
    Bien sûr, ce n'est pas un enlèvement total, il reste des soirées quand elles ne sont pas largement occupées par l'intrusion scolaire dans l'intimité familiale : les devoirs ! L'enfant trouve alors un nouveau père, l'Etat, une nouvelle mère, l'école. C'est d'ailleurs bien comme cela que c'était perçu au moment des hussards noirs de la République. Quand les échecs de l'école deviennent de plus en plus apparents et gênants, bizarrement les mêmes qui excluent totalement les parents de ce qui peut se passer à l'école les montrent alors du doigt en se gargarisant du mot «parentalité» qui serait mal assumé.
    Parce que le scandale se situe dans le fait que la totalité d'une tranche d'âge de la population est «captive» d'une institution qui est totalement hors du contrôle, du regard des citoyens dont elle s'empare des enfants.
    Le mot «captif» est bien le mot exact, d'une part parce que, à moins d'être très privilégié, on ne peut se soustraire à ce qui est un «enfermement» dont l'Etat désigne lui-même le lieu à chaque citoyen (carte scolaire). L'incroyable déni de démocratie se trouve bien là : non seulement les parents citoyens sont obligés de «laisser» leurs enfants là où l'Etat le leur dit, mais en plus, ils n'ont rien à dire sur ce qui s'y passe, les fonctionnaires qui opèrent dans un lieu que l'on peut qualifier de «carcéral» disposant d'un pouvoir absolu qui n'est que vaguement contrôlé par sa propre hiérarchie. Autrement dit, l'école est un Etat dans l'Etat qui échappe au contrôle démocratique et s'autoprotège lui-même.
    Admettons que les fonctionnaires de cet Etat aient conscience à la fois du pouvoir dont ils disposent et de l'immense responsabilité qui est la leur dans une situation aussi anormale, ce qui est heureusement le cas le plus général. Chacun sait que la façon d'aborder les apprentissages, autrement dit la pédagogie ou les stratégies éducatives, n'est pas neutre. Les pratiques éducatives à Sparte n'étaient pas les mêmes qu'à Athènes ! Comme on apprend à lire et à écrire, on devient citoyen. Les polémiques entre traditionnels et modernes, particulièrement ravivées par un ministre irresponsable, démontrent au moins que nous n'en sommes qu'aux balbutiements de la science des apprentissages collectifs. Elles démontrent qu'il y a aussi d'autres enjeux derrière de prétendues batailles d'experts. Mais alors, comment accepter que des enseignants aient la liberté de choisir des stratégies éducatives fondées sur l'épanouissement (disons Athènes) ou sur la soumission (disons Sparte), qu'un ministre puisse décider de ce qui est bon ou mauvais, et que les parents, seuls responsables de leurs enfants, doivent accepter et faire subir à leurs enfants ce qu'aura décidé... une carte scolaire ?
    Le vrai problème soigneusement dissimulé n'est pas celui de la discrimination sociale par la carte scolaire, c'est l'obligation d'accepter les pédagogies décidées selon le seul bon vouloir des enseignants. Si, dans un même secteur, des parents pouvaient choisir entre un établissement aux pédagogies traditionnelles et un établissement aux pédagogies modernes, il est certain que les choix ne s'effectueraient plus sur des critères sociaux, prétexte mis en avant par les défenseurs de la carte scolaire. Tant que les parents sont exclus de l'élaboration des stratégies éducatives des établissements de leurs quartiers (ce qui sera un jour une vraie révolution culturelle), tant qu'ils sont soumis à laisser leurs enfants à partir de 5 ans dans une institution hors du contrôle des citoyens, on ne peut pas continuer, dans une société démocratique, à les obliger à subir les choix d'enseignants (ou d'un ministre) dont chacun sait qu'ils ne dépendent que d'appréciations individuelles (puisqu'elles peuvent toutes être contestées) et qu'ils auront des conséquences sur le développement cognitif, psychologique et citoyen de l'enfant.
    Cela implique donc la possibilité de choix entre des établissements aux pédagogies différentes. Dans la ville de Gand, en Belgique, plus d'un tiers de la quarantaine d'écoles communales sont officiellement des écoles de type Freinet. La mixité sociale y est parfaite dans toutes ! Seul problème, les listes d'attente pour y inscrire les enfants sont très longues...

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