Sans cesse réformée mais toujours convalescente, lécole française va mal. Elle reste une énorme machine, dun modèle dépassé, où les rouages sépuisent sans grand résultat. Une école de fous où les enseignants, souvent démoralisés, dépassés, ne savent plus comment remplir leur mission. Où, selon lOCDE, nos ados détiennent le record de la souffrance au travail. Et pour quel résultat? Léchec scolaire est massif. Chaque année, 150000 jeunes décrochent sans diplôme en poche, soit plus dun sur cinq! Et ce sont les victimes les plus visibles du système. Mais il y en a bien dautres. Lobsession de la sélection, de la compétition, lambiance de travail souvent oppressante et des méthodes punitives qui nont parfois guère changé depuis un siècle fragilisent des cohortes denfants et dados. Et ceux qui croient quelles sont le prix nécessaire à payer pour réussir mieux que les autres se trompent. Les évaluations internationales très fiables menées par lOCDE (voir encadré p.43) permettent depuis peu de comparer le niveau scolaire des jeunes à travers le monde. Or la France na pas de quoi plastronner. Le Canada, la Finlande, lAustralie, le Japon, les Etats-Unis mais aussi la Corée ou la République tchèque font bien mieux que nous. Coup dur pour lorgueil national, nos élèves sont tout juste moyens. Pire: notre école gratuite, laïque et républicaine se révèle particulièrement injuste. Plus quailleurs elle calcifie les inégalités sociales. Foi dInsee, jamais il na été aussi difficile pour un Kevin de la Cité des 4000 de sasseoir sur les bancs dune grande école, jamais il na autant couru le risque de pointer au chômage.
<script language=JavaScript1.1 src="http://uniprix.sdv.fr/RealMedia/ads/adstream_jx.ads/NOUVELOBS/RG@Middle"></script>
<script language=JavaScript></script>
<script language=JavaScript1.1></script>
<script language=JavaScript></script>
Injuste, élitiste, notre système scolaire est de surcroît absurdement malthusien. Les guerres économiques daujourdhui se livrent à coups de neurones. Et tous les pays se battent pour élever leur niveau de qualification. Chez nous, la sélection à outrance, le gaspillage des talents ferment la porte des études à trop de jeunes. 37% seulement dune génération accède à lenseignement supérieur contre 75% en Suède par exemple et 51% en moyenne parmi les pays de lOCDE. Peut-être même peut-on attribuer aux effets de cette sélection par léchec, dont la France est la championne, une certaine morosité qui caractérise la société française? Telle est la thèse défendue par Patrick Fauconnier dans son livre «la Fabrique des "meil-leurs"»(1). Vu de létranger, cest encore plus criant. Pascal Baudry, psychanalyste et chef dentreprise qui vit entre la France et les Etats-Unis, dénonce «un système malade et délétère que celui où chacun se situe dabord par rapport à ce quil na pas réussi» (2). Dailleurs, dans la dernière enquête de lOCDE, à la question «vous sentez-vous bien en classe?», moins dun jeune Français sur deux répond «oui». Cest le plus mauvais score des 41 pays sondés. Il faut bien ladmettre. Dautres font beaucoup mieux que nous Finlande, Canada, Royaume-Uni, etc. avec des méthodes moins brutales. A lheure où notre ministre de lEducation hésite encore à lancer son train de réformes, quelles leçons peut-on tirer de leurs expériences? Voici les recettes fondamentales de pays où lécole marche bien. La preuve par lexemple.
1. Etats-Unis, Canada : la confiance en soi, clé de la réussite
Chez nous, lidée quapprendre est avant tout un effort, et quil faut souffrir pour sélever jusquau savoir, semble une évidence. «Notre école reste aujourdhui encore fondée sur un système punitif où cest à lélève dêtre digne de recevoir lenseignement et non à lécole de lencourager», explique Maurice Porchet, professeur de biologie à luniversité de Lille et auteur de plusieurs rapports sur lenseignement des sciences. Pour nous, lélève en échec est celui qui ne travaille pas assez. Il ne peut sen prendre quà lui-même. A linverse, au Canada, aux Etats-Unis ou encore dans les pays nordiques, les connaissances doivent être mises à la portée de tous. Cest la mission première des enseignants: permettre non seulement aux bons élèves mais aussi à ceux qui ont plus de difficultés dapprendre. Avec la conviction profonde que tout le monde peut y arriver. «Pour les enseignants, les parents, limmense majorité des jeunes possède la capacité de réussir», constate Robert Crocker, chercheur en sciences de léducation. Or les travaux de lOCDE montrent que la confiance en soi est un facteur clé de la réussite. Lélève doit avant tout croire en ses propres capacités, et pour cela il a besoin des adultes qui lentourent. «Nos enseignants savent combien, pour la réussite de leurs élèves, une bonne image de soi est essentielle. Ils sefforcent en permanence de les encourager», assure Jennifer Lawley, principale du lycée Ross Sheppard à Edmonton, dans lAlberta (Canada). «Cest un climat, une attitude générale», explique Robert Crocker. Quiconque a déjà mis les pieds dans une école américaine le sait bien, lencouragement y est permanent, caricatural sans doute à nos yeux. «Les enseignants ne font que des commentaires positifs et pratiquement pas de critiques», raconte ainsi Pascal Baudry. La confiance, moteur de la motivation et de la réussite, se construit grâce à un certain état desprit mais aussi grâce à un ensemble de pratiques: lencouragement systématique à prendre la parole devant les autres, lapprentissage de lécoute et du respect mutuel.
2. Canada : en finir avec la note qui tue
Imaginez un prof de maths qui ne noterait jamais un élève au- dessous de 12 sur 20? On dirait quil est laxiste, quil na pas dautorité. Les parents inquiets penseraient quil fait mal son boulot. En France, estime-t-on, savoir mettre une mauvaise note, cest montrer quon est un prof attentif et juste, et quon connaît son monde. «Une pratique calamiteuse», dénonce André Antibi, mathématicien, directeur du laboratoire des sciences de léducation de luniversité Paul-Sabatier, à Toulouse, et auteur dun livre, «la Constante macabre» (3). Après quinze ans denquête auprès de centaines denseignants, il a constaté quinvariablement le professeur distribue les copies quil corrige, quel que soit le niveau de la classe, en trois paquets, les bonnes, les moyennes et les mauvaises. Pire: que le professeur met inconsciemment au point des astuces pour que les notes de ses élèves sétalent bien autour dune moyenne de 10. Cest une «constante». Elle est «macabre» en ce quelle casse et désespère les élèves en pure perte. En ce quelle fabrique de léchec inutile. Cette pratique typiquement française révèle bien lidée que les professeurs se font deux-mêmes et de leur mission: ils sont là plus pour sélectionner et punir que pour accompagner. «Or rien nencourage mieux les élèves que de réussir», martèle Philippe Joutard, historien, spécialiste de la pédagogie anglo-saxonne. Que propose André Antibi? De sinspirer de nos voisins outre-Atlantique pour établir comme chez eux des contrats de confiance avec les élèves. «Les devoirs sont basés sur des objectifs précis et des grilles de correction transparentes. On élimine les pièges, on liste précisément ce qui peut tomber, les exercices corrigés en classe et les questions censées être maîtrisées. Résultat: les élèves travaillent plus, sans stress, parce quils savent quils peuvent tous décrocher une bonne note.» On imagine déjà les avalanches dobjections! Mais quelques lycées en France le pratiquent déjà. Et ça marche
3. Finlande : les profs aux commandes
Ils ont osé! Dans les années 1970, le système éducatif en Finlande était encore strictement centralisé, à linstar du nôtre. Le ministère de lEducation était une grosse machine qui contrôlait tant bien que mal les milliers détablissements scolaires du pays. Ça coûtait cher et cétait inefficace. En trente ans, le pays a donc opéré une révolution copernicienne. Le ministère de lEducation a perdu 90% de ses fonctionnaires. Il a licencié ses gestionnaires, ses inspecteurs et ses comptables, ne conservant que les experts chargés de lélaboration des programmes et des décisions stratégiques. Aujourdhui, le pouvoir est confié aux soutiers, les professeurs, en bonne intelligence avec ladministration locale. «Nous négocions notre budget avec la commune, nous embauchons nos professeurs, nous nous chargeons dajuster les programmes nationaux en fonction de notre environnement», explique Päivi Virén, une directrice décole à Helsinki. Des profs bac+5 sélectionnés pour leurs compétences mais surtout pour leur talent de pédagogues. Chez nous, les qualités pédagogiques sont quasiment hors sujet. Les concours sont académiques, avec des épreuves théoriques. Une petite année de formation tout aussi théorique et on expédie les jeunes profs frais émoulus dans les établissements les plus durs, advienne que pourra, chacun pour soi. En Finlande, la décentralisation a bouleversé les habitudes. Le travail en équipe est devenu la règle. La salle des profs, avec les bureaux de ladministration, est un lieu confortable, une grande salle avec des fauteuils, des plantes vertes, une cuisine, des vestiaires, un vrai quartier général où se prennent, collégialement, les décisions qui régissent la vie de lécole. «Léquipe pédagogique est responsable de la bonne marche de lentreprise», résume Irmeli Halinen, au ministère de lEducation. Laprès-midi, quand les élèves nont plus cours, les adultes se retrouvent là, en groupes à géométrie variable, pour régler tout ce qui a trait à la vie de lécole: au hasard, la progression sur lannée des séances du professeur de biologie, le choix dun nouveau manuel dhistoire ou lanalyse des évaluations des élèves que leur transmet une fois par an le ministère de lEducation. «Nous ninspectons pas les écoles, rappelle Irmeli Halinen. Nous comptons sur le sérieux des équipes pour faire le nécessaire si les résultats des élèves ne sont pas bons
» Faire confiance aux élèves, faire confiance aux profs.
4. Canada : garder les élèves ensemble le plus longtemps possible
Notre collège unique a trente ans cette année, il nest toujours pas accepté. Il est en procès à chaque rentrée, avec lidée que tout le monde nest pas fait pour lenseignement général. Pourtant, les travaux de lOCDE le démontrent, les pays où le niveau général est le meilleur sont ceux qui gardent leurs élèves dans un cursus unique le plus tard possible. «Un tronc commun, parfois même jusquau bac comme dans les pays nordiques, produit les meilleurs résultats», assure Bernard Hugonnier, directeur adjoint de léducation à lOCDE de Paris. «A 15 ans, il est bien trop tôt pour juger du potentiel dun jeune, et sur quels critères?» sinterroge Chester Levine, chercheur au ministère du Travail américain. Croire quen «offrant» des voies différentes dorientation on permet à chaque élève de réussir selon ses moyens est une illusion néfaste. En réalité, les filières différenciées isolent les élèves faibles ou en difficulté qui y végètent. Les élèves moyens progressent peu, seuls les très bons élèves en tirent un petit bénéfice. LAllemagne, qui plus tôt que nous encore triait ses élèves, vient dy renoncer au vu de ses médiocres résultats dans lenquête de lOCDE. En Finlande, au Canada, champions toutes catégories de cette même enquête, le cursus est vraiment commun jusquà 16 ans, voire 18. On ne redouble pas mais, à lintérieur des classes, les élèves à la traîne bénéficient de soutien individualisé par un prof spécialisé pour rester dans la course et éviter la stigmatisation de léchec. Pendant tout ce temps, on ne sélectionne pas. Les enfants ont donc le temps de se construire, mieux protégés des enjeux de compétition. Meilleur pour leur équilibre futur. Meilleur aussi pour lascenseur social. «Plus un système différencie tôt, plus il est inégalitaire», explique Bernard Hugonnier.
5. Grande-Bretagne : faire confiance à la pratique
En matière de pédagogie, lépreuve du feu vaut mieux que cent discours fumeux. Comme le montre la réforme du système éducatif britannique. Jusquau début des années 1990, les écoles font ce quelles veulent, ce qui autorise tous les écarts. Et tous les retards: le royaume de Sa Majesté est la lanterne rouge des pays de lOCDE. Il est alors urgent dintervenir. LEtat décide donc de reprendre la main. Un: il commence par définir des programmes nationaux et des compétences précises à atteindre, par niveau et par matière. Deux: il impose aux élèves de 7 ans et de 11 ans des évaluations nationales dont les résultats sont publiés école par école. Trois: le ministère de lEducation semploie, tel un chalutier en haute mer, à faire remonter toutes les bonnes pratiques des profondeurs du pays, toutes ces leçons qui ont bien marché dans les classes pour les proposer en modèle (voir reportage à Londres). Le ban et larrière-ban des chercheurs sont sommés de produire des documents pédagogiques ad hoc. Enfin, clé de voûte du système, linspection scolaire est réorganisée. Désormais indépendante, lOFSTED (Office for Standards in Education) visite les écoles tous les cinq ou six ans. «Une expérience traumatisante», résume Maura Keady, la directrice de lécole John- Burns à Londres. Il faut voir! Pendant trois jours, une poignée de contrôleurs ombrageux passent tout au crible, de létat des tuyauteries aux prestations des professeurs en passant par lhumeur des élèves et le niveau de satisfaction des parents. Leurs rapports dune quarantaine de pages sont consultables sur le Net. Ils font la pluie et le beau temps. Car les parents, en Grande-Bretagne, peuvent choisir lécole où ils vont mettre leur enfant. Les professeurs, indignés, avaient commencé par hurler au scandale: «Cétait une intrusion dans le sacro-saint domaine de lautonomie pédagogique», résume-t-on au ministère. Ils ont changé depuis: en presque dix ans, boosté par ce vaste dispositif, le niveau moyen est remonté. En 1998, 63% seulement des élèves de 11 ans maîtrisaient le niveau requis en anglais, ils sont 77% en 2004. En maths, cest encore plus spectaculaire: la proportion est passée de 59% à 74%.
6. Canada : apprendre aux jeunes à sorienter
En France, nous norientons pas les élèves. Les plus chanceux rencontrent une demi-heure un conseiller dorientation, et la sélection tient lieu dorientation. Tu échoues, tu dois choisir un métier tout de suite; tu es bon, tu peux attendre. Au Canada, les élèves sont amenés très tôt à construire un projet personnel, à se découvrir une vocation: «Tous les élèves suivent un cours de management personnel et daide à la construction de carrière», explique Jennifer Lawlay. Et il ne sagit pas de sasseoir passivement face à un adulte. Cest au jeune lui-même de mener lenquête sur tel métier ou tel domaine qui lintéresse, en se rendant sur le terrain, en rencontrant des professionnels, le tout sous la houlette dun enseignant dûment formé. On laide à se prendre en main, à dépasser langoisse du fameux «mais quest-ce que je pourrais bien faire?». Dans une certaine sérénité puisque rien nest encore joué, les choix interviennent plus tard: «Notre collège, notre lycée sont beaucoup moins compétitifs que les vôtres, il nexiste pratiquement aucune sélection avant la dernière année», explique Robert Crocker. En France, on soriente trop tôt et dans le brouillard, comme lexplique Patrick Fauconnier: «En troisième, alors que les jeunes ne connaissent rien des métiers. Ils ne se connaissent pas eux-mêmes.» Nos élèves, comme lont montré plusieurs études du ministère, sinforment par le bouche-à-oreille auprès de leurs profs, guère plus informés queux, leurs copains, leurs parents. Les informations sur les métiers, sur lemploi sont éparses et difficiles daccès. Cest le règne de la rumeur. Les jeunes Américains ont plus de chance. Le ministère du Travail édite chaque année un énorme ouvrage, le «Occupational Outlook Handbook», ce que lon pourrait traduire par «guide des perspectives demploi». Une bible illustrée et rédigée dans une langue accessible à tous, où lon trouve tout sur 275 métiers ou groupes de métiers. Statistiques détaillées, descriptions réalistes, conditions de travail, formations y menant, carrières possibles, salaires, adresses et, cerise sur le gâteau, une analyse chiffrée des besoins dans les dix ans à venir. Un vrai best-seller, surtout sur internet: «Nous comptabilisons actuellement 6 millions de connexions par mois, tout le monde sen sert!», assure Chester Levine.
Caroline Brizard et Véronique Radier
(1) «La Fabrique des "meilleurs". Enquête sur une culture dexclusion», Patrick Fauconnier, «Lhistoire immédiate», Seuil, Paris, 2005. (2)«Français et Américains. Lautre rive», Pascal Baudry, Editions Village Mondial, 2003. (3) «La Constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations délèves...», André Antibi, Editions MathAdore, Toulouse 2003.
Caroline Brizard Véronique Radier |